When I get to the border, deuxième partie.

Publié le par lacomtesseauxpiedsnus.over-blog.com

 

Nous mourrons de soif, et, arrivés à l’abri militaire, l’un des hommes nous annonce que le prochain bus passera dans une heure et demie.
Résignée, je m’avachis sur un coin de banc pour dormir, et l’un d’eux me réveille en me tendant une banane et un chikou, sorte de petite pomme de terre à la chair verte, fondante et sucrée. Il nous demande si nous avons déjeuné, et comme je lui désigne les fruits en souriant, il sort un petit plat argenté dans lequel il glisse avec son doigt des pommes de terre en sauce et des chappattis imbibés d’huile rance. Nous partageons de bon cœur ce repas offert par l’armée, et je ne peux résister à la tentation de boire quelques gorgées de l’eau - locale évidemment – que le soldat me tend.
Elle a un arrière-gout de vase et d’eau croupie. Ces gars sont immunisés, moi pas. J’espère que le mal de ventre qui me guette attendra lui aussi quelques heures pour surgir.

 

 

 

Mohammed et son frère 2

 


 Un bus passe environ toutes les heures, sans s’arrêter. Les militaires nous resservent puis, repus, nous nous allongeons sur les bancs de pierre défoncés pour dormir un peu. Quand le temps décide de s'arrêter, autant s'assoupir.

 
C’est alors qu’un moustachu en uniforme beige fait irruption de nulle part, et je sens d’emblée qu’il va tirer profit de notre situation. Il nous dit, nous répétant quinze fois les mêmes phrases dans un anglais approximatif, que nous sommes près de la frontière pakistanaise, trop près. La zone est illégale, le bonhomme exige donc que nous lui montrions un permis. Bien sûr, personne ne nous a rien dit, et nous n’en avons pas. Les rares touristes qui s’aventurent dans les parages le font en jeep, avec guide et chauffeur ; ils sont donc tenus au courant.
Nous avons pénétré la zone interdite à notre insu, car les check point n’arrêtent que les voitures, considérant qu’il n y a guère de touristes dans les bus locaux.
Je comprends enfin que la Firing Zone d’en face est une zone de tir entre Indiens et Pakistanais, des camions entiers de militaires patrouillant sans relâche alentour, la musique à fond.
Je sens que le policier a flairé l’aubaine, et qu’il ne nous lâchera pas avant d'avoir les poches aussi gonflées de roupies que son bide de graisse rebondie.
Depuis l’arrivée du capot, l’attitude affable des militaires s’est muée en réserve, puis en suspicion. Ils veulent faire bonne figure devant le flic.
Ils fouillent nos sacs, puis fixent mon appareil photo. Ils veulent vérifier les photographies que j’ai prises, et j’ai peur qu’ils ne me demandent de les effacer ou qu’ils ne confisquent mon appareil.
Je fais mine de l’allumer, et dis qu’il n y a plus de batterie, espérant détourner leur attention. Dès qu’ils font deux pas, j’enlève prestement la batterie et la dissimule dans mon sac.
Le policier à la sale gueule réitère sa demande, prenant nos passeports et nous questionnant sur notre identité, sceptique face à ma photo en noir et blanc.
Les palabres continuent pendant un bon moment, et je commence à angoisser. Ce type est mauvais, les soldats semblent sous sa coupe et les bus demeurent fictifs. Je contemple la Firing Zone qui s’étend devant moi, où j’aperçois des oasis semblables aux dessins de mon enfance. J’ai extrêmement soif, et ces visions ne sont que des mirages, des tours que le désert joue à mon imagination. Voyant que je ne compte guère lui donner un bakchich, le gros flic moustachu engage une discussion animée avec les militaires. J’ai un peu peur car il ont confisqué nos passeports, véritable talismans. Il reparle de ma photo dont il doute, et me jette de brefs coups d’œil dubitatifs en dodelinant du chef. Il y a comme un problème.

 

Chef du village, Lodia


Il me pose tout un tas de questions sur le Pakistan, vérifie mon nom, ma date de naissance ; il me taxe d’être un espionne à la solde des Pakistanais. Je me trouve plongée dans un mauvais film dont je n’arrive pas à me dépêtrer.


Le capot arrête un gamin qui passe à moto par là et réquisitionne son portable pour appeler un supérieur. Le gosse ne dit mot, car ici, ce serait folie que de se rebeller face à un policier.
Le moustachu, plein de son pouvoir sur nous tous, monologue au téléphone en gujarati. Je ne comprends rien, j'essaye d'avoir l'air le plus détendu possible. Une demi-heure plus tard arrive un militaire gradé, qui nous explique la même chose, à savoir que notre présence ici est illégale. Nous discutons et l’atmosphère s’adoucit. Il finit par repartir, mais le capot reste. J’espère que le gradé va revenir, car il est bien plus intelligent que le moustachu, et parle un anglais qui nous permet de nous défendre. Les corps de métier se succèdent ; voici que des flics en civil débarquent pour nous contrôler de nouveau. Cela fait déjà 4 heures que nous nous desséchons peu à peu dans cet abri, les bus continuant de passer, indifférents.
Enfin, le grade revient en jeep, nous proposant de la nourriture. Je continue à boire de l’eau croupie en songeant à ma dysenterie future. Cette idée même me distrait. Le militaire rondouillard nous dit qu’un véhicule va nous ramener sur Bhuj, la ville la plus proche, et nous patientons en espérant que le capot va nous relâcher sans demander son reste. Une éternité plus tard, le flic arrête une jeep, et nous prenons la route avec des Indiens étudiants en géologie, les pieds calés sur des pierres étiquetées, fonçant à travers le désert dans le jour déclinant, une musique de Bollywood à fond, nos passeports dans les poches.

 

 

Imma et son frère, village de Lodia NB

 

 

 

Dirty people take what's mine
I can leave them all behind
They can never cross that line
Copie de DSC 1120
When I get to the border
Sawbones standing at the door
Waiting 'till I hit the floor
He won't find me anymore
When I get to the border
Monday morning, Monday morning, closing in on me
I'm packing up and I'm running away
To where nobody picks on me
If you see a box of pine
With a name that looks like mine
Just say I drowned in a barrel of wine
When I got to the border
When I got to the border

A one way ticket's in my hand
Heading for the chosen land
My troubles will all turn to sand
When I get to the border
Salty girl with the yellow hair
Waiting in that rocking chair
And if I'm weary I won't care
When I get to the border
Monday morning, Monday morning, closing in on me
I'm packing up and I'm running away
To where nobody picks on me

The dusty road will smell so sweet
Paved with gold beneath my feet
And I'll be dancing down the street
When I get to the border
When I get to the border

 

 

Richard et Linda thompson, I want to see the bright lights tonight, 1974


 

Publié dans Inde

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