Indian Love is Love with Hand

Publié le par lacomtesseauxpiedsnus.over-blog.com

En schématisant à outrance, il semblerait qu'il existe deux catégories d'Indiens ; ceux qui s'écartent dès que vous approchez de peur de vous frôler, vous considérant comme impures et hors castes. L'autre extrémité est la grosse communauté de frustrés de tous poils qui adorent les femmes blanches et ne manquent pas une occasion de vous tripoter dans les coins.

Pour avoir vécu les deux types de réactions, et toute la gamme qui s'étire entre le dégoût ou le désir provoqué par votre seule présence, je préfère forcément la première, quoique désagréable.

 

Il y a cinq ans, en prenant le ferry depuis Ernakulam pour retourner sur l'île de Fort Cochin, je me souviens que le banc où je m'asseyais pour faire ce court trajet se vidait quasi systématiquement. Le Kerala est pourtant réputé être l'état avec le meilleur taux d'alphabétisation de tout le pays. Dans ma petite tête, une certaine culture induit forcément une ouverture d'esprit. Malheureusement, c'est parfois le contraire.

 

Aujourd'hui j'ai eu affaire au type 2, le plus répugnant, car en tant que femme seule, il n'est pas rare de se prendre une main aux fesses dans la foule des grandes villes. Je préfère encore une forme de racisme ignorant et passif à un favoritisme pervers et lâche.

 

Pour ma dernière journée à Mumbai, je flâne vers la Porte de l'Inde. C'est Dimanche, et le quartier est saturé de familles en goguette. Me reposant à l'ombre, un Bengali entame la conversation avec moi. Il vient de Calcutta, me parle de sa femme restée sur place, tandis que lui a monté un business ici. Nous parlons du racisme dont sont victimes les gens qui ne viennent pas de Mumbai, de l'exploitation que beaucoup subissent, surtout les ruraux fraîchement débarqués. Malheureusement, cela ne m'étonne pas, car ce n'est pas la première fois qu'on me parle de racisme régionaliste ici.

 

 

Il n'a rien à faire de sa journée de repos, et insiste pour se promener avec moi. Nous marchons dans le quartier de la gare, et il m'invite à boire un chai dans chaque échoppe, chaque restaurant qu'il trouve, refusant de me laisser payer. Nous parlons de cinéma bengali, de conditions de travail, de religion. Il est Hindou mais a l'air très tolérant, me disant même que les Pakistanais sont des frères, et que tous les dieux se valent. La plupart des Indiens se crispent, voire sont carrément mauvais quand on évoque le Pakistan." Tous les hommes sont Un ", répète t-il sans cesse. Son discours me plaît par sa simplicité qui ne cherche pas à séduire.

Je lui demande quel dieu il a choisi de vénérer parmi l'énorme panthéon hindou, et sa ville natale l'a naturellement orienté vers la déesse Kâlî la Noire, souvent représentée dansant avec un collier de crâne, la langue tirée et l'oeil féroce. Elle incarne l'énergie masculine faite femme, le feu de la destruction et le Temps, qui fâne toute chose. Celui qui la vénère est censé outrepasser sa peur de la mort, mais peut-être n'ai-je rien compris.

 

 

Dieux Mumbai violet

 

 

Je trouve sa pensée très moderne, et je le fais parler le plus possible.

Au bout de cinq thés, je me dis que je vais passer ma nuit de train dans les toilettes. Cela fait un moment que nous avons dépassé la Victoria Station, et le marché-trottoir se fait de plus en plus misérable, les gens vendant de vieilles frusques disposées en boule sur des tissus sales. Nous palabrons en marchant quand un Indien aux vêtements crasseux m'interpelle, me faisant comprendre qu'il veut boire dans la bouteille d'eau que je tiens à la main.

Il est agressif et je refuse, flairant le mauvais coup. Mon compagnon de la journée s'éloigne de quelques mètres, ne faisant pas mine de m'aider. L'Indien me harangue de plus belle en hindi, je ne comprends rien à ses imprécations, alors le bougre me saisit le bras et je scotche sur ses grands ongles dégueulasses. Je me dégage d'un geste, et sens un immonde doigt glisser le long de mes fesses, fouillant mon pantalon fin.

Je hurle en français, me retourne ; il est déjà loin, mon pseudo ami aussi.

Mes yeux rageurs parcourent la foule, je le vois au loin, ce pervers crasseux, admirant la scène que tout le marché contemple en cercle autour de moi, je tente de l'insulter en hindi, et la foule d'éclater de rire. Je crie en anglais qu'il a un mauvais karma, et qu'il se réincarnera en chien. Le Bengali a disparu. Ecoeurée, seule et fragile, je rabats ma dupatta sur la tête, quitte la scène et sanglote un bon coup dans un coin. Je parle toute seule, je dois avoir l'air d'une démente mais peu me chaut. Déchaînée d'émotions contradictoires, je pense à Kâlî et à toutes ces déesses priées ici, alors qu'ils ne respectent même pas les femmes réelles.


Un couple de touriste, les seuls que je croise depuis des heures, regarde furtivement mes larmes enragées et passe sans un mot. Salauds.

 

Je mets un certain temps avant de repartir, seule. Je me sens vulnérable et fuyante, marchant le plus vite possible pour rejoindre ma guesthouse où je dois préparer mon sac pour quitter la ville.

J'étais triste de partir, de quitter ces attaches de passage, mais cet évènement agit sur moi comme un signe.

Je dois quitter cette ville, au plus vite.

 

Je salue tous mes voisins de chambre, échange des mails et des voeux avec tout le couloir, et pars manger une dernière fois au Madras Café, où l'accueil chaleureux me fait oublier mes mésaventures.

Je récupère mon sac et pars pour la gare, où je fume une dernière cigarette avant de m'engouffrer sur les quais.


Des coolies ( porteurs) me harcèlent pour porter mon sac. Non, je n'ai pas besoin de leur aide. Ils me dévisagent, n'apprécient visiblement pas que je fume. Ici, ce sont les matrones qui fument, pas les jeunes femmes, fumer étant un signe de pouvoir. Ce ne sont que des adolescents, et ils s'engrainent ; ils m'encerlclent et me taquinent. J'ai les nerfs à vif, et bien que je ne comprenne pas un mot de ce qu'ils racontent, je sais pertinement qu'ils se moquent de moi, ou peut-être m'insultent.

Je leur parle en français, tant qu'à faire un bon dialogue de sourds, mais je finis ma cigarette, après je serai coincée dans le train pour 15h...Ils tentent de m'aggriper, je ris à leur barbe inexistante comme une folle pour les effrayer. Cette journée d'intimidation masculine m'a remplie d'une haine dont je ne veux pas. Je pense à Gandhi et à la Voie de la non violence, au fossé de comportements dans un pays de l'extrême où le machisme règne,et j'ai bien envie de gifler ces gamins.


 

Je les ignore, jette ma clope et ramasse mon bardas. Ils me courent après. Je croise un homme qui me dit de faire attention.Une femme seule, la nuit dans une gare...

 

Je frissonne. Foutue journée. Mauvaises énergies. Je veux me casser d'ici, me casser d'ici vite.

 

 

Je monte dans mon train, m'asseois sur la banquette bleue en simili skaï, que je partage avec de grosses femmes qui me bourrent de friandises rouge fluo qu'elles sortent de grands sacs plastiques remplis de tupperware.

Des femmes. Des femmes ! Enfin.

Des sourires, des rires tonitruants, des bracelets colorés qui cliquètent avec fracas à chaque mouvement du bras.

J'observe la nuit citadine défiler par la fenêtre. Le train traverse la banlieue de Bombay, livide. Vers le Nord, le Gujarat, Ahmedabad que je ne connais pas.

 

Je dors comme une enfant.

Publié dans Inde

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